AMD & Intel : l’alliance improbable anti-ARM, voici les raisons !

    Vous connaissez sans doute le vieil adage indien qui dit que « les ennemis de mes ennemis sont mes amis ». Aussi incroyable que cela puisse paraître, AMD et Intel, les frères ennemis de 40 ans, viennent de créer une alliance commune afin de défendre leur bien le plus précieux, leur enfant chéri, l’architecture X86.

    AMD et Intel : 40 ans de je t’aime, moi non plus

    Pour bien comprendre en quoi cette alliance est historique, il faut revenir 45 ans en arrière : nous sommes en 1979, le CPU 8088 d’Intel, une version bon marché du célèbre 8086, l’illustre ancêtre de tous nos CPU X86 modernes, vient d’être choisi par IBM pour équiper son tout premier ordinateur individuel et ancêtre de tous nos PC, j’ai nommé l’IBM PC modèle 5150. Problème : Intel est à cette époque une jeune société incapable de produire seule les volumes demandés. IBM, qui possédait déjà une licence x86 qu’Intel lui avait échangé contre le droit d’utiliser ses mémoires à bulles, impose donc à la société californienne de licencier sa technologie X86 à d’autres fondeurs afin de garantir ses approvisionnements. Intel n’a d’autre choix que d’accepter pour être partie prenante de l’immense succès que sera l’IBM PC qui fera sa fortune ainsi que celle d’une autre jeune société nommée Microsoft, mais ça, c’est une autre histoire. Les heureux élus furent Harris, NEC, Fujitsu, OKI, Siemens, Texas Instruments, Mitsubishi et… AMD !

    C’est alors le début d’une longue, très (très) longue bataille judiciaire entre Intel et ses 9 « partenaires » afin de reprendre le contrôle de sa propriété intellectuelle. En 1982, lors de la sortie du 80286, ils ne sont déjà plus que 5 (IBM, AMD, Harris, Siemens, Fujitsu), puis 2 (IBM et AMD) en 1985 avec le 80386, puis de nouveau 3 (IBM, AMD, Texas Instruments) en 1989 avec la première génération des 80486. Il faudra attendre la sortie du premier Pentium en 1993, qui introduira une nouvelle marque bien protégée et tout un arsenal de nouvelles technologies fortement brevetées, pour qu’Intel parvienne à déposséder les cloneurs historiques du droit d’utiliser ses designs et sa marque. Un certain nombre d’entre eux arriveront encore pendant quelques années à fournir des CPU X86 compatibles avec les cartes mères pour Pentium (Cyrix, IDT, WinChip, AMD sur les fameux sockets 5 et 7), mais Intel finira de verrouiller totalement sa plateforme avec l’introduction du slot 1 en 1997. À partir de cette date, Intel ne tolèrera plus qu’un seul challenger sur le ring X86, et cela uniquement afin d’échapper à une procédure pour position monopolistique, car on l’a oublié, mais à la fin du 20e siècle toutes les grosses entreprises de l’IT étaient terrifiées à l’idée de finir démantelées comme AT&T quelques années plus tôt (c’est aussi pour cette raison que Microsoft sauva Apple de la faillite en 1997). Et ce challenger ce sera AMD !

    En rachetant très opportunément certaines propriétés intellectuelles particulièrement innovantes (l’architecture Nx686 de NexGen, le bus HyperTransport de Digital), AMD parvint à lancer en 1999 sa propre plateforme avec les CPU Athlon et le slot A. Cette date marque ainsi la création d’un duopole asymétrique au sein duquel Intel a durant 25 ans largement dominé son adversaire sur tous les marchés (desktop, laptop et serveur), sauf lors de deux rares moments de faiblesse. Le premier eu lieu de 2004 à 2006 lors de la crise Netburst, une architecture introduite par Intel en 2000 avec les premiers Pentium 4 Willamette. Si ceux-ci, suivis par les P4 Northwood, permirent Intel de maintenir sa domination, ça se gâtât vite avec les P4 Prescott qui étaient de vrais gouffres thermiques, ce que ne résolurent pas les P4 Cedar Mill malgré leur finesse de gravure améliorée. La cause ? Une architecture Netburst pensée par les marketeux pour dépasser les 7 GHz alors que c’était physiquement impossible (Hardware.fr avait publié un article passionnant sur ce sujet). Pendant ce temps, AMD proposait l’excellente architecture Athlon 64 et rafla la mise. Le second, nous y sommes toujours : il s’agit de la crise 10 nm qui dure depuis 2016.

    Le milieu des années 2000 fut aussi le seul moment où AMD a battu Intel sur le terrain de la licence X86 en réussissant pour la première fois à imposer un jeu d’instruction à l’ensemble du marché : X86-64. Ils avaient bien tenté des choses auparavant, avec 3DNow! par exemple, mais Intel avait toujours réussi à les contrer, avec SSE en l’occurrence. Dans le cadre du passage au 64 bits, Intel souhaitait introduire une nouvelle architecture exclusivement 64 bits (IA-64), incompatible avec X86 afin de segmenter le marché du laptop/desktop de celui des serveurs beaucoup plus rémunérateurs, tout en en excluant de fait AMD. Le marché serveur était à l’époque dominé par d’autres architectures CPU où X86 n’était qu’un challenger. Malheureusement pour Intel, IA-64 fut un échec critique et ils furent forcés d’adopter X86-64 à partir des Pentium 4 5×1, ce qui fait depuis de X86 un jeu d’instructions à la propriété intellectuelle composite entre Intel et AMD. En bref, même s’il le voulait, Intel ne peut plus évincer AMD du marché via sa propriété intellectuelle depuis 2005 et a donc dû apprendre à vivre en colocation avec son rival.

    Alors, pourquoi se marier maintenant ?

    La raison tient en 3 lettres : ARM ! Et dans une moindre mesure RISC-V.

    ARM vous en avez forcément entendu parlé : il s’agit d’une architecture RISC propriétaire (X86 est elle une architecture CISC) qui s’est imposé sur le seul marché ayant échappé à X86 : le mobile. Si pendant près de 20 ans Intel nous a fait croire qu’ARM était une architecture trop spécialisée pour être utilisée ailleurs, la fin de la supériorité des procédés de gravure du fondeur on mit en évidence que ce n’était qu’un gros mensonge marketing. Dès que cet avantage a disparu, Apple a magistralement démontré qu’il était possible de produire des CPU desktop/laptop (gamme M) sous ARM capables de rivaliser avec les CPU X86. Ampere est aussi en train de faire la même démonstration sur serveur (c’est plus difficile, le marché professionnel étant très conservateur), et tout ça a donné des idées à Qualcomm avec sa nouvelle gamme de CPU Snapdragon X qui commence à envahir nos PC et à menacer la suprématie de X86 et donc la tranquillité des colocataires AMD et Intel. La rumeur qui a circulé à la fin de l’été sur un possible rachat d’Intel par Qualcomm était d’ailleurs une énorme provocation destinée à faire comprendre à tout le monde que la fête était terminée.

    Si ARM est clairement une menace à court terme pour les deux fondeurs, le cas de RISC-V est plus subtil, car d’ordre géostratégique. À la base, RISC-V est une architecture RISC ouverte et libre créée en 2010 par l’Université de Berkeley. À partir de 2019, les USA sous l’impulsion du POTUS Trump, entrent en guerre technico-économique ouverte avec la Chine, un des plus gros acteurs du marché mondial des semi-conducteurs. En réponse, la fondation RISC-V déménage son siège en Suisse afin de préserver sa neutralité et la Chine lance un grand plan de désoccidentalisation de son industrie dans lequel RISC-V tient un rôle central. Si au jour d’aujourd’hui ces CPU RISC-V ne sont pas encore en situation de rivaliser, ce n’est qu’une question de temps avant qu’ils ne supplantent leur homologues X86 et ARM sur le marché chinois, puis qu’ils partent à l’assaut du monde.

    Bref, AMD et Intel se marient… mais c’est clairement un mariage de raison plus que de passion.

     


     

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