Crise chez Intel : la gravure 18A en péril, un avenir sombre s’annonce ?

    Les fans de hardware le savent : vous devez maîtriser ou avoir accès à un fondeur qui maîtrise la technologie de gravure la plus fine du moment si vous voulez exister sur le marché très concurrentiel des semi-conducteurs. Pendant 30 ans, c’est Intel qui a mené la course, écrasant un à un ses concurrents jusqu’à ce que le marché du CPU se résume à un duopole avec AMD, et ce uniquement par peur d’un procès pour cause de monopole (on l’a oublié aujourd’hui, mais toutes les boîtes de la tech nées à la fin du 20e siècle vivaient dans l’angoisse de finir comme AT&T).

    Intel : de la domination totale…

    AMD, qui était historiquement lui aussi un fondeur, a même dû brader ses usines en 2009 pour survivre face à cette violente domination. Seuls Samsung, TSMC, et dans une moindre mesure IBM, ont continué à résister grâce à leur présence sur des marchés dont Intel était absent puisqu’il réservait ses capacités de gravure à son seul et unique usage. Et c’est d’ailleurs cette pratique endogame qui a fini par causer sa perte, car pendant qu’il gravait des CPU de plus en plus gros, complexes, et chers, ses concurrents, principalement Samsung et TSMC, diversifiaient leur production grâce au boom des GPU et des CPU mobiles. Ces puces ARM, petites mais surtout extrêmement rentables (en particulier quand on grave pour Apple), ont permis à ces fondeurs de financer les monumentaux investissements nécessaires à la construction de leurs nouvelles usines, mais aussi à leur rodage. En effet, pour mettre au point un nouveau processus de gravure, l’idéal c’est de commencer par de simples puces de DRAM, puis d’enchaîner sur des petits CPU mobiles, puis des CPU desktop, pour finir par des gros GPU. Et si Intel a longtemps pu s’appuyer sur l’éprouvé modèle Tick-Tock pour piloter son innovation, le manque de diversité de sa production a fini par le piéger.

    … à la chute brutale

    C’est en 2016 qu’a eu lieu l’accident industriel (il faut appeler un chat un chat) avec la sortie de la gamme Kaby Lake qui, selon le modèle Tick-Tock, aurait dû être produite en 10nm. À partir de là, Intel est resté bloqué avec la même finesse de gravure pendant 5 ans jusqu’à la sortie d’Alder Lake, première gamme desktop en 10nm. 60 mois de statut-quo pour un industriel qui avait imposé pendant 50 ans au marché le rythme infernal d’un changement de finesse tous les 24 mois, au point d’en faire une loi empirique (la fameuse loi de Moore), c’est un cuisant échec dont il est difficile de se relever ! D’autant que pendant ce temps, les concurrents ont rattrapé leur retard, et même dans le cas de TSMC, ont pris une bonne longueur d’avance. Alors qu’Intel sortait enfin son 10nm (aka Intel 7), TSMC lançait son 5nm, équivalent en termes de densité du futur 7nm des bleus (aka. Intel 4), et faisait le bonheur des Apple A13 et M1, des AMD Ryzen et Radeon 7000, et des NVIDIA 4000. C’est d’ailleurs cette infériorité qui a poussé Intel à tirer sur la corde de sa gamme Raptor Lake, ce qui a abouti à la crise du même nom.

    C’est donc de manière très logique qu’Intel a, pour la première fois de son histoire, généré des pertes financières : tout d’abord 400M$ au Q1 2024, puis carrément 1.61Mrd$ au Q2. Cette situation inédite pour la star du NASDAQ a entraîné une brutale chute du quart de sa valeur en plein cœur de l’été, et, pour calmer les craintes des investisseurs, Intel a annoncé dans la foulée le licenciement de 15% de ses effectifs dans le plus pur style américain (je compatis pour les 15000 personnes qui n’avaient plus de boulot en rentrant de vacances). Et c’est dans ce contexte apocalyptique que Reuters vient de publier un article exclusif qui laisse peu d’espoir sur la capacité d’Intel à rattraper son retard.

    Le 18A, dernier espoir d’Intel ?

    La dernière roadmap process d’Intel Foundry en avril 2024 indiquait que les gravures Intel 4&3 étaient opérationnelles et que les gravures Intel 20A&18A étaient toujours en développement avec un passage en production dès fin 2024.

    Initialement, les gammes laptop Lunar Lake et desktop Arrow Lake étaient ainsi prévues pour être gravées (au moins pour leur tuile CPU) en Intel 4, mais on a appris récemment qu‘Intel avait confier à ses partenaires (comprendre TSMC) l’ensemble des gravures de ces gammes, les toutes premières depuis 35 ans, ce qui interroge sur la réelle maturité industrielle de ce processus. D’autant que la raison invoquée par le fondeur c’est de se concentrer sur le 20A&18A avec l’espoir de rattraper son retard… sauf que ça n’aurait de sens de sauter Intel 4&3 que si ce procédé n’était justement pas totalement mature, et qu’il était alors logique de l’abandonner pour un procédé à peine moins mature mais bien plus performant. Et c’est là que l’article de Reuters fait très mal : le process 20A&18A qui devait passer en production fin 2024 et permettre à Intel de reprendre la main n’est en réalité pas du tout au point, ce qui laisserait Intel coincé sur Intel 7 près de 3 ans après sa mise en production réelle, et 8 ans après son annonce ! Une véritable éternité dans l’industrie du silicium !

    Intel peut-il mourir ?

    Alors, soyons clairs : non. Intel dispose d’une propriété intellectuelle et d’un trésor de guerre accumulé depuis 50 ans qui le mettent à l’abri d’une mort à court ou moyen terme. En revanche, une lourde restructuration s’annonce et il est fort probable que l’on assiste comme en 2009 avec AMD à une séparation des activités design et production, puis à une revente de l’entité Intel Foundry.

    Ça, c’est pour le court terme. À plus long terme, la perte de son avantage lié à la gravure met Intel dans une situation extrêmement délicate quant à sa propriété intellectuelle la plus précieuse : le jeu d’instruction X86. En 50 ans, Intel a quasiment réussi à faire disparaître toutes les autres architectures qui existaient auparavant sur les marchés laptop/desktop et serveurs (IBM vend encore des CPU serveurs non-X86 sur ses gammes p & zPeries). Seul le marché mobile lui a échappé au profit d’ARM, et pendant près de 20 ans Intel nous a fait croire que ce dernier était une architecture trop spécialisée pour être utilisée ailleurs. Sauf que c’était un gros mensonge marketing masqué par la supériorité de ses procédés de gravure. Dès que cet avantage a disparu, Apple a magistralement démontré qu’il était possible de produire des CPU desktop/laptop sous ARM capable de rivaliser avec les CPU X86. Ampere est aussi en train de faire la même démonstration sur serveur (c’est plus difficile, le marché professionnel étant très conservateur), et tout ça a donné des idées à Qualcomm avec sa nouvelle gamme de CPU Snapdragon X qui commence à envahir nos PC.

    Bref, l’avenir d’Intel s’annonce très sombre.


     

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