Nouvelle escalade dans le conflit entre ARM et Qualcomm

    ARM, la société anglaise qui détient la propriété du jeu d’instruction du même nom ainsi que les designs qui y sont associés, est en conflit commercial depuis bientôt 3 ans avec un de ses meilleurs clients et tout premier challenger d’Intel et AMD depuis 25 ans : Qualcomm. Et c’est dans le cadre de ce litige qu’ARM vient de lancer un ultimatum : Qualcomm a 60 jours pour cesser d’utiliser la licence qu’il détient, celle qui est à la base des fameux Snapdragon de la marque depuis 17 ans.

    ARM-Qualcomm : le moment est-il bien choisi pour une scène de ménage ?

    Pour comprendre la cause et la nature du litige, il faut déjà comprendre comment ARM gagne sa vie : la société anglaise ne fabrique pas ses propres puces. Elle ne dispose donc pas d’usine de fabrication (ce n’est pas un fondeur comme TSMC, Intel ou Samsung), mais elle conçoit néanmoins des architectures CPU/GPU/SoC. La principale différence avec Intel et AMD qui gardent jalousement l’architecture X86 et leurs designs respectifs pour leur seul usage, c’est que ARM vend ses architectures et les designs associés à d’autres sociétés partenaires. Pour l’anecdote, Intel fut un partenaire d’ARM de 1997 à 2006 et le leader du marché des Pocket PC avec ses CPU XScale… marché qui évolua vers celui des SoC pour smartphone à la sortie de l’iPhone et d’Android en 2007… oui, la vente de cette activité en 2006 fut une des très nombreuses erreurs stratégiques d’Intel découlant du dogme « only X86 » de l’époque.

    ARM vend donc sa propriété intellectuelle sous forme de licences dont il existe 3 grands types :

    • ARM Academic Access est la licence qui permet de faire de la R&D et du prototypage. C’est la licence pas chère pour évangéliser les universités et les étudiants à la bonne parole ARM, avec une capacité de production industrielle très limitée.
    • ARM Flexible Access est la licence qui vise les startups ainsi que les PME qui veulent des designs et un support clé en main avec une facturation proportionnelle à la quantité de CPU produite.
    • ARM Total Access est la licence pour les gros acteurs où tout est pratiquement négociable. Il y a plusieurs packages de base, mais le principe c’est que tout est possible du moment que le client paye : modifier les designs existants, créer son propre design, voire compléter le jeu d’instruction avec ses propres instructions… bref, c’est la licence ‘all-inclusive’ pour ceux qui ont les moyens.

    Il est très difficile aujourd’hui de connaître les détails des licences Total Access souscrites par les majors du marché, mais il semble aujourd’hui évident qu’au moins deux d’entre elles se sont permis une profonde customisation des designs de base :

    • Qualcomm, qui possède une licence ARM depuis 2007 et dont les SoC Snapdragon dominent sensiblement leurs concurrents sur Android (tels que les Exynos de Samsung) depuis de nombreuses années.
    • Apple, qui possède une licence ARM depuis 2008 et dont les SoC Ax et Mx démontrent des performances époustouflantes grâce à l’excellente synergie hardware/software qu’aime à cultiver la firme à la pomme depuis toujours.

    Un gars au cœur de l’embrouille

    Si le Apple M1, sorti en 2020, a véritablement révolutionné le monde du CPU laptop en démontrant que l’architecture ARM n’était pas cantonnée au monde mobile, elle le doit à 12 ans de travail acharné et un homme : Gerard WILLIAMS III. Ce brillant architecte CPU est passé par Texas Instrument et surtout ARM avant de rejoindre Apple en 2010 dans le cadre du programme de développement des SoC. Il est à juste titre considéré comme le père de l’Apple M1 et l’artisan de la révolution qui fait aujourd’hui trembler la toute jeune alliance X86.

    Sauf que monsieur WILLIAMS a décidé de quitter Apple en 2019 et ne semble pas être parti les mains (ou plutôt le cerveau) vides : à peine avait-il créé sa propre société, dénommée Nuvia, pour développer un processeur ARM pour les serveurs, qu’Apple lui collait un procès. Quelques mois plus tard, c’est Qualcomm qui déboursait 1.4 milliard $ afin d’acquérir Nuvia (!!!! une boîte de moins de 2 ans d’âge !!!!). Bref, le gars pèse dans le game !

    C’est juste après ce rachat qu’Apple met fin à ses poursuites, sans doute pour éviter un coûteux conflit avec un mastodonte comme Qualcomm bien moins vulnérable à une stratégie de guérilla judiciaire qu’une jeune startup (il y a peut-être aussi eu un arrangement amiable en coulisse, qui sait ?). C’est aussi grâce au rachat de l’architecture Oryon de Nuvia que Qualcomm a pu enfin développer une gamme Snapdragon Elite en capacité de rivaliser avec ses concurrents X86. Les précédentes tentatives avec les Snapdragon 8cx s’étaient en effet traduites par de cuisants échecs. Et c’est probablement là que se trouve la source du mécontentement d’ARM.

    En effet, et ce n’est que pure spéculation de notre part, il est probable que la licence ARM utilisée par Nuvia pour développer son architecture Oryon ne soit pas de même nature ou n’ait pas souscrit les mêmes options que la licence historique détenue par Qualcomm. Il ne semble pas absurde que Nuvia ait souscrit une Total Access Package C (Haute performance) pour un CPU serveur, là où Qualcomm utilisait un Package A ou B (Low power & High Performance) pour ses Snapdragon. Pris dans l’urgence de répondre au M1 d’Apple et de laver son échec 8cx, Qualcomm a probablement pris le risque de remettre à plus tard la régularisation de la situation avec ARM.

    Bref, rassurez-vous ! Tout ça c’est une histoire de gros sous, et ça se résoudra sans doute très vite, car aucun des deux protagonistes n’a d’intérêt à ce que ça se finisse mal. Après tout, ARM et Qualcomm sont sur le point de faire tomber la forteresse X86, et leur seul point de désaccord ne concerne au final que la question du partage du butin.


     

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